Élève

La fameuse crise économique libanaise

Joe-Ester ABOU HAIDAR, Terminale

La fameuse crise économique libanaise, sujet qui revient à table presque aussi souvent que celui de l’explosion du 4 août. La crise économique libanaise, qui « ne t’inquiète pas le dollar baissera quand ils auront formé le gouvernement ». La crise économique libanaise qui « fais tes premières années d’université ici en attendant qu’on puisse renvoyer de l’argent à l’étranger». La crise économique libanaise qui nous surprend de jour en jour avec la rapidité fulgurante de la dévaluation de la livre. La crise économique qui appauvrit les libanais de jour en jour, et qui est le résultat d’une gestion frauduleuse du pays tant à l’échelle économique et financière qu’à l’échelle politique.

Cette crise économique est à présent le quotidien de milliers de libanais et libanaises, qui voient la situation de leur pays se détériorer de jour en jour. Le Liban est aujourd’hui plongé dans une abysse dont nous n’espérons plus de voir la fin. La hausse du taux de change et du prix de la livre qui a franchi le seuil symbolique des 15,000LL par dollar américain ce mardi 16 mars prouve la gravité de notre position. Cette dévaluation de notre devise a entrainé une hyperinflation ; les prix dans les supermarchés connaissent une montée en flèche et ce depuis le début de la Révolution du 19 octobre 2019. Les produits locaux coutent environs 5 fois plus qu’en septembre 2019 tandis que ceux importés coutent environs 9 fois plus. Toutefois, cette hausse des prix n’est aucunement suivie par celle des salaires, bien au contraire. Les salaires obtenus par les libanais sont toujours les mêmes et leur valeur ainsi que le pouvoir d’achat qu’ils en tirent ne cessent de chuter drastiquement. Le prix d’un sac de lait en poudre pour bébé est facturé aux alentours des 80,000LL, soit environs 12% du revenu d’une personne percevant le salaire minimal (675,000LL). Le gouvernement indéboulonnable, ayant pour mot d’ordre le laisser-faire, semble être indifférent, étant donné les leur inaction apparente. Plus de 50% de la population se situe aujourd’hui au-dessous du seuil de pauvreté, le taux de criminalité a augmenté de 91%, l’inflation annuelle a déjà dépassé les 140% tandis que la dette du pays constitue environs 170% du PIB. Par-dessus le marché, nos réserves en dollars ne suffiront bientôt plus pour nos importations alors que ces dernières nous sommes un pays en dépendant …  Ces mêmes importations de produits se font d’ailleurs de plus en plus rares, entraînant des pénuries de produits essentiels.

Le secteur médical est d’ailleurs fortement impacté : des médicaments essentiels viennent à manquer tandis que le cout des consultations et des soins montent en flèche. Le directeur du syndicat des hôpitaux privés au Liban Sleiman Haroun a affirmé le 18 mars que si la situation continue à empirer ainsi, les hôpitaux fermeront et ceux qui resteront ouverts ne pourront accueillir que les personnes ayant les moyens de payer leurs frais.

Tous ces problèmes économiques et financiers puisent, comme nous pouvons le voir, leurs origines dans une gestion plus qu’irresponsable des affaires du pays et ce à toutes les échelles. Nous, peuple libanais, assistons donc avec impuissance et détresse à l’incompétence par excellence d’un gouvernement sali, pourri et rongé par la corruption depuis 30 ans déjà.

Le positionnement ainsi que les mesures, ou devrais-je plutôt dire l’absence de mesures prises par le gouvernement attestent de son incapacité à gérer une crise qui perdure déjà depuis plus d’un an. L’attitude de la classe politique est immuable et ce même face à la pression internationale : que ce soit celle sous laquelle l’a placé le FMI (par rapport aux réformes) ou la France (pour la formation d’un gouvernement), elle est toujours aussi inflexible et attend inexorablement un accord qui favorisera tel ou tel parti. Les échanges récents ayant eu lieu depuis ce mercredi 18 entre le premier ministre et le président illustrent parfaitement cette dernière observation :  chacun accuse l’autre d’empêcher la formation du gouvernement, en demandant ou n’accordant pas un certain nombre de ministères à un parti. Nos responsables font donc la sourde oreille face aux exigences internationales et aux protestations du peuple.

Comment en sommes-nous arrivés là me demanderez-vous. Comment des personnes dont les actions traduisent si peu d’estime pour leur peuple se sont-elles retrouvées à la tête du pays ? Le problème politique au Liban réside en partie, d’après moi, dans deux problèmes enracinés au plus profond du système.

Le premier serait les personnes au pouvoir : fils de tel, beau fils de tel, ami de telle famille… Nous sommes dirigés par des criminels de guerre, des mafieux, ainsi que par les descendants de ceux qui ont mené le pays à sa perte il y a de cela déjà trois décennies. Le fils de Walid Joumblatt l’a d’ailleurs affirmé, sans aucune honte : la politique, au Liban, est une affaire de famille ! Cette idée est perçue comme étant « normale » par une grande partie de la population depuis bien trop longtemps, alors qu’elle ne devrait pas l’être. Une autre « banalité » au Liban qui est absolument outrageuse serait le non-respect de la Constitution, base de tout fonctionnement juridique et politique d’un pays. Dans quel article est-il cité qu’un homme a la possibilité de se rendre au palais présidentiel afin de se porter candidat au poste de premier ministre ? Comment se fait-il qu’un premier ministre assigné en temps de crise soit incapable de former un gouvernement car un certain parti politique exige l’acquisition d’un ministère ? Nulle part. Ces actions sont illégitimes, illégales, anticonstitutionnelles et font honte au pays tout entier. L’absurdité de la situation à laquelle nous faisons face dépasserait toute personne rationnelle mais elle est à présent devenue, avec une succession d’actions illégales de la part de nos « leaders », monnaie courante au Liban.

Le second problème fondamental réside au sein même de cette constitution. Sa vocation première est de garantir l’égalité et l’équité de tous les citoyens devant la loi. Or, elle a été rédigée en 1926 sous mandat français puis modifiée la dernière fois le 23 octobre 1989 suite aux accords du Taëf. Elle se basait alors sur la construction sociétale du pays et ses composantes religieuses mais ces dernières ont évolué depuis l’époque. La constitution ainsi que son fonctionnement ne représentent plus la majorité des libanais et instaure ainsi une sorte de déséquilibre qui est à l’origine de nombreux mécontentements. Il est cependant important de noter que ces failles ne justifient aucunement le non-respect de ces textes de lois.  

Les problèmes économiques, financiers et politiques exposés précédemment sont déclencheurs d’une tombée dans un cercle vicieux qui rendra la sortie de crise encore plus compliquée. En effet, les restrictions draconiennes imposées par les banques ainsi que l’attitude du gouvernement entrainent un comportement des consommateurs hostile face à l’investissement et à la demande. L’économiste John Maynard Keynes a d’ailleurs exposé cette théorie selon laquelle la prospérité économique est centrée sur la demande, sur la volonté des consommateurs à dépenser. En suivant ce fil de pensée, nous pouvons nous attendre à ce que différents secteurs comme l’immobilier soient marqués au fer rouge pour les années a venir. Qui souhaiterait acquérir un appartement au Liban après l’explosion du 4 aout qui a rasé la capitale ? Qui souhaiterait acquérir une maison en ayant en tête l’éventualité d’une bombe à retardement cachée à proximité ? Qui aurait encre confiance en ces mêmes banques qui menacent chaque jour de s’évaporer avec les économies et réserves de millions de personnes ?

La situation dans laquelle nous nous trouvons a toutes les échelles est donc catastrophique et même désespérante. Cependant, cette crise a également permis de mettre à l’avant de la scène des personnes au talent et aux capacités reflétant la réalité intellectuelle de nombreux libanais et libanaises. Je parle notamment de l’analyste politique Sara-el-Yafi qui a éveillé de nombreuses consciences grâce à ses propos aussi poignants qu’exacts ; ou encore l’avocate Diane Assaf qui nous instruit sur le côté législatif de la politique. Le fait de voir tant de personnes brillantes s’investir dans la cause libanaise permet de garder espoir et d’imaginer un Liban qui, un jour, sera gouverné d’une façon qui mette en avant toutes les richesses que le pays des Cèdres a à offrir.

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