Le Liban de 2022

Sirina ARISS, Terminale
A peine le Liban est capable de gérer les problèmes d’aujourd’hui que ceux de demain apparaissent déjà comme étant incontournables. Avant de se projeter dans le futur, il est impératif de rappeler le présent. En 2020 le pays a été détruit par une explosion de 2750 tonnes de nitrates d’ammonium, en 2021 le Liban s’effrite. L’année actuelle est marquée par la fameuse crise économique libanaise, sujet qui revient à table presque aussi souvent que celui de l’explosion du 4 août. La crise économique libanaise qui nous surprend de jour en jour avec la rapidité fulgurante de la dévaluation de la livre. La crise économique qui appauvrit les libanais de jour en jour, et qui est le résultat d’une gestion frauduleuse du pays tant à l’échelle économique et financière qu’à l’échelle politique. Cette crise économique est à présent le quotidien de milliers de libanais et libanaises, qui voient la situation de leur pays se détériorer de jour en jour. Le pays est aujourd’hui plongé dans une abysse dont nous n’espérons plus de voir la fin. Le Liban de 2022 naît donc dans un contexte de crise généralisée avec une dette publique atteignant 92,42 milliards de dollars, une facture de 15 milliards de dollars pour l’explosion du port, et plus de 1,7 million de personnes sous le seuil de pauvreté.
Le Liban de demain semble à première vue un Liban vieillissant. La crise de 2020-2021 qui a poussé les plus jeunes à émigrer à la recherche d’une vie plus favorable n’a fait qu’augmenter la part des seniors dans la population libanaise. Le Liban de 2022 se retrouve donc sur le sommet du podium arabe au niveau de la rapidité du vieillissement de sa population. L’impact de ces départs fera surtout ressentir en 2022 au niveau économique. Cette migration ne concerne pas seulement les jeunes mais aussi et surtout toute une classe d’éduqués qui se vide. Ce phénomène de brain drain entraîne inéluctablement une baisse de productivité dans le marché du travail, ce qui ne fait qu’empirer la situation actuelle. Les “cerveaux” quittent le pays, leur diplôme sous le bras. Ce sont ces jeunes gens-là qui seraient devenus cadres moyens ou entrepreneurs. Selon un sondage publié en avril et réalisé par Information International, un centre de recherche indépendant à Beyrouth, 30 pour cent des Libanais en général – soit près d’un Libanais sur trois – et 60 pour cent des 18-25 ans souhaitent émigrer. Toujours d’après les résultats du sondage, près de 12 pour cent des étudiants de premier cycle veulent partir, de même que plus de 15 pour cent des professionnels. Le Liban de 2022 est un Liban vieux, un Liban vide de ces cerveaux et de ces jeunes.
Fragilisé à l’extrême par la crise économique et financière, le secteur hospitalier privé au Liban est également “aux urgences” en 2022. Ce secteur autrefois glorifié continue à faire face à une crise qui s’accentue avec la limitation des liquidités sur le marché, qui paralyse les importations de matériel médical, déjà ralenties par les difficultés de trésorerie des hôpitaux. En 2022, la pénurie s’aggravera davantage si la situation économique continue à se dégrader en crescendo. Le Liban est en pénurie de médicaments, de médecins, et surtout de sécurité. Les réseaux sociaux témoignent de cette crise qui ne fait que s’aggraver: entre les mères qui n’arrivent plus à trouver de quoi nourrir leur nourissons, les personnes diabétiques qui n’arrivent plus à se procurer d’insuline, et les femmes enceintes forcée à accoucher sans péridurale.
Les problèmes économiques, financiers et politiques exposés précédemment sont déclencheurs d’une tombée dans un cercle vicieux qui rendra la sortie de crise encore plus compliquée en 2022. En effet, les restrictions draconiennes imposées par les banques ainsi que l’attitude du gouvernement entraînent un comportement des consommateurs hostile face à l’investissement et à la demande. L’économiste John Maynard Keynes a d’ailleurs exposé cette théorie selon laquelle la prospérité économique est centrée sur la demande, sur la volonté des consommateurs à dépenser. En suivant ce fil de pensée, nous pouvons nous attendre à ce que différents secteurs comme l’immobilier soient marqués au fer rouge pour les années à venir. En 2022 qui souhaitent acquérir un appartement au Liban après l’explosion du 4 août qui a rasé la capitale ? Qui souhaitent acquérir une maison en ayant en tête l’éventualité d’une bombe à retardement cachée à proximité ? Qui aurait encore confiance en ces mêmes banques qui menacent chaque jour de s’évaporer avec les économies et réserves de millions de personnes?
Le Liban de 2022 sera-t-il toujours dirigé par ces mêmes personnes incompétentes responsables de la destruction? Il ne fait aucun doute que la prolongation du mandat du parlement libanais au-delà de mai 2022, pourrait considérablement aggraver l’instabilité politique, économique et sociale à laquelle le pays est actuellement confronté. L’incapacité des hommes “au pouvoir” à gérer les crises, à former un gouvernement actuel, y compris la négligence généralisée et la corruption, est une répétition constante de la mauvaise gestion politique des 30 dernières années.
Après une infinité d’échec cuisants dont les conséquences se font ressentir sur la population libanaise, il ne fait aucun doute que les élections de 2022 seront seules à mettre sur le bon chemin un pays dévasté par la corruption, le clientélisme, le chômage, la pauvreté, l’injustice et l’inégalité. Sur la place des Martyrs à Beyrouth, le poing de la révolution s’élève toujours vers le ciel, même si le site, lui, est plutôt désert. À quelques mètres de là, un grand drapeau libanais aux bords déchiquetés illustre l’état de désespoir dans lequel ont sombré une grande majorité de Libanais. Seule une transition au niveau du système apporte une note d’optimisme. Trois scrutins devraient normalement se tenir au Liban en 2022 : les municipales, les législatives et la présidentielle. Une opportunité historique pour les partis issus de la société civile de renverser la table et de concrétiser l’élan révolutionnaire du 17 octobre 2019. Plus de deux ans après, le Liban se trouve à la veille de l’heure du bilan: 2022 annonce-t-elle une nouvelle page ou sera-t-elle qu’une continuation de ce chapitre?
Photographie de Ayla JABR