Les États ont-ils perdu le monopole de la puissance au XXIe siècle ?
Serge Sur, définit la puissance dans son manuel sur les Relations internationales ainsi : « capacité de faire, de faire faire, d’empêcher de faire et de refuser de faire ».
La capacité de faire renvoie au pouvoir. La capacité de faire faire renvoie à l’influence. La capacité d’empêcher de faire renvoie à l’usage de la force et la capacité de refuser de faire renvoie à l’indépendance. La puissance est à la croisée du pouvoir, de l’influence, de l’indépendance et de la force. Au sens le plus général, la puissance est le pouvoir de faire, produire ou détruire.
Pierre Buhler, diplomate de carrière, a enseigné les relations internationales à Sciences Po (Paris). S’exprimant à titre personnel, il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage « La puissance au XXIe siècle » à CNRS Éditions (collection Biblis).
Dans Paix et guerre entre les nations, Raymond Aron définissait « la puissance sur la scène internationale (comme) la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités. En bref, la puissance n’est pas un absolu, mais une relation humaine ». La scène internationale n’est donc pas peuplée que d’États. Parmi les « autres unités politiques » figurent nombre d’acteurs : les entreprises à vocation transnationale, des ONG, des organisations criminelles ou terroristes….
De telles « unités » existaient bien entendu avant le XXIe siècle, mais elles ont bénéficié, notamment durant la dernière décennie du XXe siècle, de cette révolution de l’information et de la communication qui a formé le creuset de la mondialisation. Les entreprises multinationales prolifèrent, se jouant des frontières, s’affranchissant de la souveraineté fiscale des États, échappant largement, dans leur projection planétaire, à l’autorité des régulateurs nationaux. Les ONG ont elles aussi pu, à la faveur de la révolution numérique, internationaliser massivement leur action, s’interconnecter, agir en réseau et peser sur une scène internationale où les États ont été forcés de leur faire de la place. Véritables « entrepreneurs de causes », elles ont su acquérir, en excipant de leur capacité à produire un bien public mondial, une légitimité concurrente de celle des États, présumés ne poursuivre que leur intérêt national. En agissant sur les opinions publiques nationales, en dénonçant tel ou tel agissement répréhensible, au regard du droit ou de la morale, d’un État, en intervenant dans la défense de causes humanitaires, éthiques, politiques, des organisations telles que Médecins Sans Frontières, Greenpeace, l’Open Society Institute de George Soros, ou encore la Fondation Gates sont devenus des acteurs à part entière de la scène internationale.
Plus spectaculaire encore, mais cette fois-ci sur le versant de la nuisance, une internationale terroriste aux incarnations et appellations changeantes (Al Qaïda, AQMI, Daesh), inspirée par une idéologie islamiste radicale, a réussi, sur le mode de la lutte armée, à défier les États.
Au total, et malgré la très grande variété de ses expressions, on voit se dessiner une véritable « puissance privée » qui se nourrit des avancées constantes de la révolution numérique et revêt sans cesse de nouveaux visages et de nouvelles formes (hacking, infox…). Pour autant, les États ne sont pas restés impuissants et ont su relever, avec plus ou moins de succès, ces défis nouveaux.
AInsi, il est evident que les Etats ont perdu le monopole de la puissance avec la naissance de nouveaux visages de la puissance comme les FTNs, les ONGs et plus encore les géants du Web.